Bonjour à toutes et à tous,
Quelles ont été les évolutions les plus significatives montrées par le marché international du luxe pendant les deux années 2015-2016 ?
2 dates suffisent pour témoigner d’une période particulièrement troublée :
– 13 juillet 2016 – la veille des attentats terroristes de Nice – : l’expert Milton Pedrazza (du Luxury Institute) commente la prochaine arrivée de Marco Gobbetti chez Burberry. Il déclare alors : « Jamais le marché mondial du luxe n’a été aussi compliqué à appréhender et n’a représenté autant de défis pour ses acteurs ».
– octobre 2016 : le cabinet de conseil en stratégie Bain avertit les professionnels : « Le marché mondial des produits de luxe pour la personne devrait légèrement se replier en 2016 ». En cause : des perspectives géopolitiques incertaines, l’impact de la menace terroriste, les fluctuations monétaires, mais aussi le ralentissement de l’économie chinoise. « Après une croissance à taux de change courants établie à +3% en 2014 et +12% en 2015, le marché mondial du luxe devrait afficher un léger repli de -1% en 2016. Avec un chiffre d’affaires du marché des produits personnels (mode, maroquinerie, accessoires, parfums et cosmétiques, horlogerie / bijouterie / joaillerie…) à 249 milliards d’euros contre 253 milliards en 2015 ».
Début 2017, il est indéniable que ce marché entre dans son année la plus incertaine depuis les événements de 2008-2009. Incapacité européenne à résoudre la crise des migrants, Brexit, économie mondiale atone, conflits ravageant les Proche et Moyen-Orient, volatilité des monnaies et conséquences des premiers décrets signés par Donald Trump se conjuguent en effet pour dessiner une nouvelle ère d’instabilité permanente.
Les très nombreux changements de CEO et DA survenus à la tête des plus prestigieuses maisons de luxe occidentales font d’ailleurs écho à cette instabilité. Il est urgent d’amener du sang neuf, de sortir des schémas d’antan et des convictions dépassées. L’heure n’est plus à la conceptualisation. Elle est aux facultés d’adaptation à un monde du luxe qui évolue de plus en plus vite !
Et, à l’avenir, il n’est malheureusement pas exclu que la crainte de nouvelles attaques terroristes oriente les flux touristiques vers les destinations estimées « les plus sûres ». Paris et l’Ile de France souffrent. Et, en regard, les tendances de marché favorables sont très minoritaires. Ce sont la Chine continentale (après 3 années de déclin), le Japon (grâce à l’afflux de touristes chinois), la Corée, les pays d’Asie du Sud – Est, le Mexique, la Colombie et, à titre prospectif, l’Afrique sub saharienne et l’Iran qui paraissent offrir les plus prometteurs motifs d’espoir.
Marché & Géopolitique
Plus aucun pays n’est capable de porter le marché mondial. Les pays émergents n’émergent pas : la croissance de leur PIB est seulement supérieure de 2 % à celle des pays matures. Ces émergents souffrent de la baisse des cours des matières premières et/ou de problèmes politiques (Brésil). Les pays matures redeviennent donc le moteur de la croissance, mais aucun d’entre eux ne prend véritablement le relais du Japon (qui stagne depuis la fin des années 90) et de la Chine (qui a ralenti de 2012 à 2015).
- Europe : malgré le déclin de la fréquentation touristique en France et en Allemagne lié aux attentats terroristes, la casse est limitée à -1% en euros courants, en partie grâce à la chute de la livre sterling, en baisse de -17% depuis l’annonce du Brexit au mois de juin 2016. Une dépréciation qui a entraîné une forte hausse des achats de luxe effectués par des touristes internationaux ces derniers mois au Royaume-Uni.
- USA : les USA ne sont plus le moteur incontesté de la croissance. Aux Etats-Unis, le marché du luxe enregistre un ralentissement de -3% en raison de la force du dollar américain, laquelle provoque une baisse des achats de la part des touristes. Et les achats de la population locale sont eux freinés par les nombreuses incertitudes liées aux premières mesures de la nouvelle administration Trump.
- Chine : le gouvernement chinois a dévalué le renminbi en août 2015, entraînant une baisse substantielle du pouvoir d’achat des touristes chinois à l’étranger. Cette dévaluation ne les empêchera pas de continuer à voyager, mais elle va modifier tant les montants dépensés que les destinations privilégiées : Corée du Sud et Thaïlande devraient profiter de cette nouvelle donne. En Chine, la consommation locale des produits de luxe progresse légèrement mais ne parvient pas à contrebalancer la baisse des achats des touristes chinois à l’étranger, notamment en Europe. Dans le même temps le ralentissement se poursuit à Hong Kong (40 % du tourisme chinois en 2014) et Macao (20 %), avec une baisse attendue de l’ordre de -15 % à taux de change courants.
Numérique & Expérience de marque
Les deux années 2015-2016 sont celles de la confirmation de la conversion du luxe au numérique. L’e-commerce représente désormais 7 % des ventes de produits de luxe pour la personne. À un horizon 2020, il est légitime d’extrapoler que sa part puisse atteindre 15 % et que plus de 60 % des achats de produits de luxe soient alors influencés par le digital. Bien sûr, ces chiffres représentent une moyenne. Elle cache des degrés de maturité variables : USA et UK sont en avance quand, à l’opposé, France et Italie continuent de privilégier l’expérience vécue dans le point de vente.
– Mobile : Aucune année post-2009 n’avait échappé à ce titre prématuré « d’année du mobile » mais il aura fallu attendre 2015 pour que soit confirmée cette prédiction. Cette année-là, Net-A-Porter (aujourd’hui Yoox Net-A-Porter) enregistre des ventes m-commerce record et il est estimé pour les USA que la part du m-commerce y est désormais de 30 % de la totalité des ventes en e-commerce. Cette évolution majeure se trouve renforcée l’année suivante : en octobre 2016, et pour la toute première fois, l’internet mobile (accès au web via smartphone ou tablette) dépasse l’internet fixe (accès via ordinateur) dans le monde (51% vs 49%). Nul doute que l’invitation d’Angela Ahrendts à penser « mobile first » soit suivie par un nombre croissant de dirigeants de marques de luxe : à l’avenir ils concevront et développeront leurs contenus digitaux d’abord pour un affichage sur smartphone/tablette avant de les adapter aux usages desktop et offline. Soit un total renversement de leurs priorités…
– Réseaux sociaux : en 2015 – 2016, les réseaux sociaux contribuent au développement de l’e-commerce car de plus en plus de marques de luxe incitent à l’achat de leurs produits via les réseaux sociaux en dotant leurs pages officielles de « shoppable imagery » et de boutons d’achat. Après Pinterest, c’est Instagram qui annonce fin 2016 tester aux USA des moyens permettant à ses utilisateurs d’acheter plus facilement. Le principe ? Equiper certaines photos de produits d’un bouton qui déclenche l’ouverture d’une fiche d’informations détaillées comprenant un lien « buy now » qui, en un clic, envoie l’internaute sur la plateforme e-commerce de la marque. 2016 voit aussi la sophistication croissante des applications de messagerie instantanée, type WhatsApp, WeChat et autre Facebook Messenger. Le cas de WeChat, lancé par Tencent en dehors de Chine en avril 2012, est le plus spectaculaire. L’application de messagerie instantanée connaît depuis lors une croissance exponentielle, atteignant le cap de 650 millions d’utilisateurs actifs par mois dès 2015. Touristes et expatriés chinois l’ont unanimement choisie en tant que « life operating system ». Ils utilisent la plateforme pour s’informer sur les marques, leurs produits, les destinations de voyage, mais aussi pour préparer ces voyages, planifier leurs itinéraires, réserver leurs hôtels ou acheter leurs billets. La très grande majorité des touristes chinois visitant des destinations shopping en Europe ou aux USA sont actifs sur WeChat pendant leur expérience d’achat. Ironie du sort : la seule voix qu’ils n’entendront pas pendant leur séjour est celle des marques occidentales dont ils achètent pourtant les produits…
– Expérience de marque : la session d’automne 2016 de la Fashion Week de Londres est choisie par Burberry pour aller encore plus loin dans la proposition d’une expérience de marque ayant éliminé les frontières entre mondes physique et virtuel :
- possibilité d’acheter la nouvelle collection en temps réel, juste après le passage de chaque mannequin sur le catwalk (le défilé étant diffusé en direct via Facebook Live) ;choix de Facebook Messenger pour répondre aux questions des internautes ;
- WeChat utilisée pour la première fois comme plateforme d’e-commerce ;
- couverture interactive du numéro de septembre du magazine Garage : scanner le visuel de Rose Huntington Whiteley portant un emblématique trench de la marque permet d’accéder au défilé.
En écho à cette expérience, à Paris quelques semaines plus tard une manifestation professionnelle (le Hub Forum) propose aux marques de luxe participantes d’ « hacker la croissance » : « hacker la croissance », c’est combiner la data, les contenus digitaux, la gestion de la relation client, le développement produits et les réseaux sociaux existants à des fins d’accélération de cette croissance. C’est sélectionner les membres de sa tribu non plus selon leurs mérites ou leur fidélité passée à la marque, mais en fonction de leur visibilité sur ces mêmes réseaux sociaux. « Plus d’1 million de followers ? Venez, vous êtes mon ami ! ».
Le sentiment partagé est qu’à de rares exceptions près les produits de luxe deviennent de moins en moins différenciés et leurs acheteurs de plus en plus avertis. L’environnement d’achat est marqué par l’explosion des points d’interaction potentiels (off et on line) avec la marque et la montée des usages combinant off et on. La qualité de cette expérience de la marque à travers tous ces points d’interaction devient centrale pour « créer la différence ». En 2015-2016, il est désormais essentiel pour les marques qui veulent concevoir ces expériences personnalisées de savoir allier stratégie de contenus, approche data et optimisation du déploiement à l’international de leurs contenus digitaux :
- des contenus créatifs, esthétiques, ludiques, informatifs … qui retiennent l’attention d’un internaute sur-sollicité en lui apportant une valeur ajoutée tangible (c’est le contrat de base, respectueux du « Content is King ») ;
- des contenus qui soient aussi contextualisés et personnalisés en fonction des préférences et centres d’intérêt de chaque segment de clientèle ;
- enfin, des contenus qui soient adaptés, traduits et localisés pour tenir compte des spécificités linguistiques, sociales, culturelles, réglementaires … et de l’éco-système digital particulier de chacun des pays cible.
Les dirigeants de ces marques doivent ainsi être en même temps artistes et scientifiques:
- scientifiques, pour savoir transformer les données des clientes en un levier d’optimisation des contenus de communication de la marque ;
- artistes, afin que l’identité visuelle, le fonds et la forme de ces créations soient en adéquation avec les désirs et attentes de ces mêmes clientes.
Il leur faut en effet mettre en œuvre une approche aussi novatrice qu’indispensable, dans laquelle la data influence une création globale qui sera ensuite adaptée puis déclinée afin que les expressions digitales locales de la marque lui garantissent de toucher efficacement chacun de ses clients finaux.
Une lecture à prolonger lors d’un second article qui sera consacré aux enjeux du retail et aux perspectives 2017 – 2021 !
À très bientôt,